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Réforme de la justice pénale : les syndicats dénoncent des économies au prix d’une justice dégradée

Pénal - Droit pénal spécial, Procédure pénale
12/09/2018
Appelés à éclairer les sénateurs sur le projet de loi de réforme de la justice, les syndicats des professions judicaires ont dénoncé, le 10 septembre 2018, à l’occasion du colloque « Justice en chantier : derrière la technique, des enjeux concrets pour tous », un texte à visée budgétaire au détriment d’une justice humaine et de qualité.
Quoi qu’il s’en défende, le ministère de la Justice veut réduite les coûts sous couvert d’objectifs de simplification et d’amélioration de la justice pénale. Tel a été le constat partagé par l’ensemble des intervenants de ce colloque.

D’ici quelques semaines, le Sénat entamera l’examen du projet de réforme de la justice déposé au printemps par le gouvernement (Projet de loi Sénat n° 463, 2017-2018). Soucieux d’avoir un débat de qualité, les sénateurs ont souhaité obtenir des précisions de la part de professionnels de la justice sur ce texte, qualifié d’« anxiogène » par la marraine de l’évènement, Éliane Assassi, présidente du groupe CRCE.

Le volet pénal (procédure pénale et peines) du texte soulève de fortes inquiétudes chez les représentants syndicaux des avocats, comme des magistrats, qui craignent un recul des droits et des libertés, ainsi qu’un recours inchangé, sinon accru, à l’emprisonnement.

Rogner sur les droits et libertés des justiciables pour économiser

Nous sommes face à « une loi de rationnement de la justice pénale », a déclaré Vincent Charmoillaux, vice-procureur, secrétaire national du Syndicat de la magistrature : « il y a un choix politique de ne pas donner à la justice les moyens de fonctionner correctement ». Certes le gouvernement a prévu d’augmenter le budget alloué à la justice, mais pour une justice de qualité, Vincent Charmoillaux estime qu’il faudrait le doubler. Sans compter que l’essentiel de l’augmentation prévue par le gouvernement sur les cinq prochaines années sera destiné « à la pénitentiaire », comme cela a été plusieurs fois rappelé durant le débat.

Il va falloir « juger vite, beaucoup et pas cher », a résumé Vincent Charmoillaux, en rognant sur la qualité du débat judiciaire, de la justice rendue et le respect des droits et libertés.

L’audience pénale, bientôt « un luxe »

Vincent Charmoillaux a tout d’abord dénoncé une marginalisation de l’audience pénale, qui deviendra « un luxe », « par le renforcement et l’extension de procédures dérivatives et dégradées, qui permettent de juger et condamner sans audience ». Entre autres exemples, il a cité l’extension de la composition pénale à tous les délits, alors qu’elle est aujourd’hui réservée aux tout petits délits − une procédure dont il a en outre rappelé que la victime est écartée.

Il a également alerté sur l’« assèchement du débat judiciaire » par la suppression de la collégialité et l’extension du recours au juge unique, pour de nouveaux délits mais aussi pour certaines procédures d’appel. Dans le même esprit, il s’est inquiété, tout comme Catherine Glon et Gérard Tcholakian, avocats et membres du Syndicat des avocats de France (SAF), de l’expérimentation d’un tribunal criminel départemental qui remplacera la cour d’assises, pour juger les personnes majeures accusées de crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion et qui ne sont pas commis en récidive.

Un débat judiciaire qui sera de surcroît dégradé, en raison du développement de la visioconférence ou vidéo-audience, particulièrement critiquée par Gérard Tcholakian. Bien que validé par le Conseil constitutionnel le 6 septembre dernier (Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC, pts 23 à 27), dans le cadre de l’examen de la loi dite « Asile et immigration » (L. n°  2018-778, 10 sept. 2018, JO 11 sept.), le recours à cette pratique a pourtant été fortement contesté par le passé. Gérard Tcholakian a ainsi rappelé que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a indiqué, dans un avis rendu le 14 octobre 2011, que « dans les matières où les questions de fait l’emportent sur des questions de pur droit ou quand la personnalité de l’intéressé ou ses explications sont un élément déterminant de la décision à prendre, le recours à la visioconférence doit être l’exception ». De même, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, dans un avis rendu le 15 avril 2010, dénonçait déjà une atteinte à la publicité des débats et aux droits de la défense, en cas de recours à la visioconférence sans le consentement de la personne qui comparaît (Avis CNCDH, 10 avr. 2010, sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, LOPPSI).

Des droits menacés et des pouvoirs accrus pour les autorités judicaires

Trois autres grands axes de la réforme ont été pointés du doigt par Vincent Charmoillaux :

– une réduction du contrôle de l’autorité judiciaire sur la police, avec parmi d’autres illustrations, l’ouverture des réquisitions judiciaires aux agents de police judiciaire (élèves gendarmes et policiers stagiaires) ;

– la création d’obstacles à l’exercice des droits, tout comme en matière de procédure civile, notamment par un durcissement des conditions d’exercice de la plainte avec constitution de partie civile, une procédure dont il a rappelé qu’elle a permis de faire sortir des affaires sensibles comme celle du « sang contaminé » ou des « emplois fictifs de la mairie de Paris » ;

– un abaissement généralisé des seuils de recours à des techniques dérogatoires, attentatoires aux libertés, comme les techniques spéciales d’enquête (IMSI-catcher ou sonorisations), les interceptions téléphoniques ou encore l’enquête sous pseudonyme.

Les droits des justiciables ne seront guère plus préservés en cas de condamnation : Laurence Blisson, juge de l'application des peines (JAP) et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, considère que « la marginalisation de la prison, objectif affiché du gouvernement, n’aura pas lieu ».

Toujours la prison et bientôt la détention à domicile

Delphine Boesel, avocate, présidente de l’Observatoire international des prisons (OIP), a d’ailleurs été claire : « plus on construit, plus on enferme ! ». Ce constat n’a jamais été démenti. Alors que le gouvernement affirme vouloir réduire le recours à la peine d’emprisonnement, un chapitre entier (IV) du projet de loi prévoit de favoriser la construction d’établissements pénitentiaires.

Au-delà de cette affirmation, plusieurs mesures du projet de loi vont dans ce sens selon Laurence Blisson, notamment le mandat de dépôt différé qui permettra, hors récidive légale et hors comparution immédiate, d’envoyer en détention des personnes dont le quantum de la peine d’emprisonnement est compris entre six mois et un an.

En outre, la peine de travail d’intérêt général (TIG) pourra désormais être prononcée hors la présence du prévenu à l’audience. Le travail forcé étant interdit, ce dernier pourra toutefois refuser l’exécution de la peine de TIG lors d’un entretien avec le JAP avant sa mise à exécution… mais s’il refuse, il ira directement en prison !

Autre nouveauté : la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), nouvelle peine autonome, vue comme une « solution à la surpopulation carcérale », qui peut être très dure selon Laurence Blisson et pour laquelle aucun accompagnement social n’est prévu.

Les inquiétudes ne s’arrêtent pas là : plusieurs intervenants s’accordent à dire que le texte ne favorise pas non plus la prise en compte de la personnalité du prévenu pour déterminer la peine la plus adaptée et que les victimes seront de plus en plus écartées dans de nombreuses procédures.
Source : Actualités du droit